Lorsqu’il estime que la continuité de l’exploitation est mise en péril, le commissaire aux comptes d’une société a le droit de donner l’alerte sur la situation. La Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes a publié une note pour préciser les modalités d’application de ce droit en cette période d’urgence sanitaire.
Coronavirus (COVID-19) : rappel sur le droit d’alerte
Le commissaire aux comptes (CAC) d’une société est tenu d’alerter les dirigeants sociaux sur les faits qui sont de nature, selon lui, à compromettre la continuité de l’exploitation.
Ce « droit d’alerte » existe que le CAC ait été désigné par obligation ou par choix de la société.
La procédure d’alerte est décomposée en 4 phases successives, ponctuées de divers délais :
paragraphe
- l’information des dirigeants sociaux par le CAC des faits en question, qui doit être délivrée « sans délai » ; ceux-ci ont alors 15 jours pour lui répondre ;
- la demande de réunion du conseil d’administration ou du conseil de surveillance (s’il s’agit d’une société anonyme ou d’une SAS dotée d’un organe collégial ayant des fonctions semblables à celles d’un conseil d’administration ou d’un conseil de surveillance) ;
- la demande de convocation d’une assemblée générale des associés ou actionnaires ;
- et enfin l’information sans délai par le CAC du président du tribunal de commerce.
La crise sanitaire actuelle, liée à l’épidémie de coronavirus, est à l’origine de difficultés financières et d’exploitation pour de nombreuses sociétés.
Afin de guider les CAC de ces sociétés dans l’exercice de leur droit d’alerte, la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes vient de publier une note explicative.
Coronavirus (COVID-19) : délais applicables au droit d’alerte
En raison de la crise sanitaire, il est prévu que tout acte prescrit par la loi qui aurait dû être accompli entre le 12 mars et le 24 juin 2020 (période d’urgence) est réputé avoir été fait à temps s’il est réalisé dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de 2 mois.
Cette mesure s’applique à l’alerte des dirigeants sociaux par le CAC : celui-ci ne peut donc, en principe, se voir reprocher d’avoir tardé à agir pendant cette période d’urgence.
Notez cependant que sa responsabilité pourra être recherchée par les juridictions en cas de manquement, notamment en cas d’utilisation abusive ou excessive du délai pour agir.
L’ensemble des délais prévus par la Loi dans le cadre de la procédure d’alerte sont également concernés par cette prorogation générale des délais : l’accomplissement des différentes formalités liées à leur écoulement respectif peut donc être différé, si nécessaire, pendant la période d’urgence.
Prenons l’exemple d’un dirigeant social qui reçoit une alerte de la part du CAC : il a normalement 15 jours pour lui répondre.
S’il reçoit cette alerte pendant la période d’urgence, sa réponse ne pourra arriver que 15 jours après le 24 juin 2020. En revanche, s’il reçoit cette alerte après la période d’urgence, le délai de 15 jours commencera à courir classiquement à compter de la réception du courrier, sans prorogation de délai.
Notez que la procédure d’alerte ne peut pas être enclenchée par le CAC lorsqu’une procédure de conciliation, de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire est déjà engagée.
Sur ce point, il faut noter qu’actuellement et jusqu’au 25 août 2020, l’existence (ou l’absence) de cessation des paiements d’une entreprise doit être appréciée par rapport à sa situation à la date du 12 mars 2020.
Cela permet à une entreprise dont la cessation des paiements apparaît entre le 12 mars et le 25 août 2020 de pouvoir malgré tout bénéficier d’une procédure de conciliation ou de sauvegarde, tout en gardant la possibilité de demander sa mise en redressement ou liquidation judiciaire.
Coronavirus (COVID-19) : réalisation d’un diagnostic « mesures Covid-19 »
La CNCC insiste sur l’importance pour le CAC d’établir un dialogue de confiance avec le dirigeant, notamment afin de s’assurer que celui-ci a bien connaissance des aides et outils dont la société peut bénéficier (prêt garanti par l’Etat « PGE », étalement des charges fiscales ou sociales, etc.).
Il est recommandé au CAC d’établir un diagnostic des « mesures Covid -9 » ainsi qu’un état des lieux de la situation financière et de l’activité de l’entreprise.
Cette « phase 0 » de diagnostic est donc particulièrement préconisée en cette période de crise : le but est que le CAC puisse partager ses conclusions avec le dirigeant, avant toute mise en œuvre de la procédure d’alerte.
Si le CAC décide d’engager une telle procédure, deux situations sont alors à distinguer.
- En cas de difficultés préexistantes à la crise sanitaire
Si la procédure d’alerte était en cours au début de la crise sanitaire, le CAC doit en principe respecter les délais relatifs aux différentes phases du droit d’alerte (qui sont cependant susceptibles d’être assouplis en raison de la prorogation générale des délais).
Il doit cependant tenir compte, dans le cadre du déclenchement des phases successives de la procédure, de la possibilité pour l’entreprise de maintenir ou non une activité, ainsi que de la possibilité d’avoir accès aux mesures prises par l’Etat pour faire face à la fois à ses difficultés antérieures, mais également à celles liées à la crise sanitaire actuelle. Il ne doit se décider qu’après avoir échangé ses conclusions avec le dirigeant.
Si la procédure d’alerte était envisagée sans avoir été enclenchée au début de la crise sanitaire, le CAC doit reconsidérer son analyse au vu du contexte actuel et échanger ses conclusions avec le dirigeant.
Il doit notamment évaluer si les mesures d’aides d’Etat dont l’entreprise peut bénéficier sont suffisantes pour lui permettre de faire face à ses difficultés.
Si c’est le cas, la procédure d’alerte ne doit pas être enclenchée.
- En cas de difficultés existantes en raison de la crise actuelle
Il faut distinguer si l’activité a été totalement arrêtée, partiellement arrêtée ou totalement maintenue.
- ○ Arrêt total de l’activité
Si l’activité a été totalement arrêtée en raison de la crise sanitaire, le positionnement du CAC doit dépendre de l’utilisation ou non des aides de l’Etat par l’entreprise.
Si les aides d’Etat sont utilisées par l’entreprise, le CAC va devoir déterminer si elles sont ou non suffisantes pour surmonter les difficultés rencontrées.
Si le CAC pense que les mesures d’aides peuvent suffire à l’entreprise, il surveille l’évolution de celle-ci pendant 6 mois, et peut déclencher à tout moment la procédure d’alerte s’il constate des signes laissant présager que la continuité de l’exploitation est compromise.
Si le CAC pense qu’elles sont insuffisantes, il doit donner l’alerte.
Si l’entreprise n’utilise pas les aides d’urgence de l’Etat, il doit déterminer si c’est à défaut de pouvoir y prétendre (dans ce cas l’alerte doit être donnée après que le dirigeant ait été informé, le cas échéant, sur l’éventualité d’un recours aux procédures collectives), ou en raison d’un manquement du dirigeant.
Dans ce dernier cas, le CAC doit déterminer si l’exploitation est gravement compromise ou non.
Si l’exploitation est effectivement compromise, le CAC doit informer le dirigeant sur les procédures collectives et, à défaut pour ce dernier de les mettre en œuvre, doit donner l’alerte.
Si le CAC estime que l’entreprise peut surmonter la crise, il doit surveiller son évolution pendant 6 mois et donner l’alerte s’il constate que l’exploitation de l’entreprise ne peut pas perdurer.
- ○ Maintien partiel de l’activité
Si l’activité de l’entreprise n’a été maintenue que partiellement, le CAC doit suivre le cheminement applicable en cas d’arrêt total d’activité de l’entreprise.
- ○ Maintien total de l’activité
Si l’entreprise a pu totalement maintenir son activité, le CAC doit s’en tenir à la procédure d’alerte classique telle qu’elle est prévue par la Loi, et notamment à l’identification de faits de nature à compromettre la continuité de l’exploitation.
En tout état de cause, le CAC doit déterminer le moment opportun pour déclencher les différentes phases de la procédure d’alerte, et conserver une certaine souplesse dans l’application des délais initialement prévus par la Loi.
Il doit s’attacher principalement au critère de la continuité de l’exploitation, et reconsidérer son analyse au vu du contexte actuel de crise économique.
Source : Note de la Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC) du 15 avril 2020
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